À la stupeur générale, Benoît XVI a annoncé, lundi 11 février qu’il renonçait à son ministère d’évêque de Rome. Un geste emprunt de modernité, qui marque une première dans l’histoire de l’Église moderne. Analyse.
"Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l'avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère", a expliqué, lundi devant les cardinaux, le Saint-Père. Une déclaration simple et franche, mais qui n’en a pas moins l’effet d’une bombe.
"Dans le monde d'aujourd'hui, sujet à de rapides changements et agité par des questions de grande importance pour la vie de la foi, pour gouverner la barque de Saint-Pierre et annoncer l'Évangile, la vigueur du corps et de l'esprit est aussi nécessaire", a expliqué le pape.
Il a ajouté qu’il avait senti sa force "amoindrie ces derniers mois". Il est vrai que ses dernières apparitions publiques l’avaient montré fatigué. Né le 16 avril 1927 dans une famille modeste de la très catholique Bavière, Joseph Ratzinger avait succédé au très charismatique Jean-Paul II le 19 avril 2005, à l'âge de 78 ans, après avoir régné près d'un quart de siècle sur la puissante Congrégation pour la doctrine de la Foi.
Benoît XVI égal à lui-même
Ce geste de Benoît XVI, personne dans l’église moderne ne s’y était risqué. On était pape jusqu’à sa mort, malgré la vieillesse et la maladie. Pour retrouver un cas similaire, il faut remonter au XIIIe siècle, lorsque, cinq mois après avoir été élu en juillet 1294, Célestin V estimait ne pas être à la hauteur de la tâche et retournait à une vie monastique.
À travers le monde, les réactions sont partagées entre stupeur et respect. Mais certains connaisseurs des questions vaticanes ne sont pas si surpris ou du moins, affirment-ils comprendre le geste du pape. Frédéric Mounier est l’un d’eux. Vaticaniste, correspondant du quotidien La Croix à Rome, il rappelle que le pape avait lui-même prédit son geste, dans Lumière du monde, un livre publié en 2010. "Quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté que physiquement, psychiquement et spirituellement, il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer", avait-il écrit.
"Benoît XVI est une nouvelle fois égal à lui-même", estime ainsi Frédéric Mounier, joint par FRANCE 24, évoquant "un homme courageux, précis, juste et réfléchi". "C’est une surprise pour nous mais pour lui, c’est une décision mûrement pensée et l’un des signes est qu’il avait préparé un texte écrit", note-t-il.
Selon le vaticaniste, ce qui caractérise avant tout Joseph Ratzinger est "un vrai souci de transparence, d’honnêteté". En témoigne, en effet, la manière de traiter la grave crise des scandales de pédophilie qui a secoué l’église catholique en 2009. Il s’est rapidement vu reprocher de n'avoir pas assez pris la mesure du problème durant ses 24 ans passées à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi.
Mais, contrairement à certaines personnalités du Vatican qui ont crié au complot médiatique, il a reconnu les "péchés" de l'Église et entrepris une opération "place nette", entraînant la démission de dizaines d'évêques. "Il a, dès le début de son pontificat, voulu également assainir les finances du Vatican et réduire l’opacité de sa banque et de ses comptes". Des initiatives qui tranchent avec les pratiques vaticanes et qui surprennent de la part d’un pape réputé conservateur.
Marqué par la fin du pontificat de Jean-Paul II
Cette fois encore, en quittant ses fonctions, Benoît XVI n’hésite pas à bousculer les codes, remettant en question un tabou dans l’église : le principe de l’élection du pape à vie. "Je ne serai pas étonné que lors de la prochaine élection, cette possibilité de limiter le mandat du pape à un certain âge soit à l'ordre du jour", remarque Frédéric Lenoir, historien des religion et directeur de la rédaction du Monde des religions, cité par le Nouvel observateur.
Nombreux analystes s’accordent ainsi à voir dans le geste de Benoît XVI un signe de modernité. Geneviève Delrue, spécialiste des religions à Radio France Internationale (RFI), évoque pour sa part "le geste novateur d’un pape moderne qui montre sa faculté de discernement" et qui "n’a pas voulu perdre la capacité de choisir en raison de l’âge".
Pour elle, "il ne faut pas oublier non plus que Joseph Ratzinger était très proche de son prédécesseur Jean-Paul II et qu’il a été très marqué par la fin de son pontificat". Jean-Paul II était visiblement très malade et diminué durant les dernières années de son ministère et a pour sa part fait la choix d’exercer sa fonction jusqu’à sa mort.
"Benoît XVI a senti sa santé décliner et ne souhaite pas avoir la même fin de pontificat", estime Geneviève Delrue. Une analyse que partage notamment Philippe Levillain, membre de l’Institut universitaire de France, qui a dirigé un Dictionnaire historique de la papauté . Interrogé par la Croix, il rappelle que "Benoît XVI lui-même s’était ouvert à des amis allemands de son souhait que Jean-Paul II démissionne, dans les années 2002-2003".
Vatileaks, le "coup de grâce"
Si sa santé était notoirement fragile, beaucoup d’analystes s’accordent à dire que l’affaire Vatilieaks n’est pas étrangère à sa renonciation. "L’affaire Vatileaks l’a beaucoup secoué, le fait de voir son aide à vivre le trahir l’a profondément affecté", remarque Frédéric Mounier. "Tous ceux qui sont présents à Rome et observent le pape ont remarqué qu’il était bien plus fatigué depuis le scandale", ajoute-t-il. Geneviève Delrue va plus loin et n’hésite pas à affirmer que Vatileaks "lui a porté le coup de grâce".
L’affaire aura surtout révélé au grand jour la crise interne entre soutiens et opposants du pape, que vit le Vatican, et les luttes de pouvoir qui en font le quotidien. Des messes basses qui doivent, à l’heure qui l’est, battre leur plein. Depuis l’annonce de la renonciation du pape, un nom est sur toutes les lèvres, celui qu’on ne connait pas encore : son successeur.
"La course est lancée", explique Frédéric Mounier. Même si la renonciation de Benoît XVI ne sera effective que le 28 février, les discussions ont déjà commencé au sein de la Curie pour se mettre d’accord sur les « Papabili », les cardinaux éligibles. Même si en théorie tous les cardinaux présents au conclave sont éligibles. "Pour l’instant on ne peut rien dire sur les éventuels successeurs, car on ne connait pas encore le rapport de force", remarque Frédéric Mounier, prudent.
This article originally appeared in : Renonciation de Benoît XVI : "le geste novateur d’un pape moderne"
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